Inspiration, expiration. Une-deux, une-deux, une-deux. Casque sur les oreilles, Isaac faisait son petit footing matinal dans les rues de son quartier. Rien de mieux pour se mettre en forme avant d'aller bosser. Surtout qu'il pouvait profiter d'un Snowflake Lane, sans enfants qui couraient partout et lançaient leur ballon sur la route ; sans papis et mamies se plaignant de leur mal aux articulations en se disant que c'était mieux avant ; sans voisines en train de jacasser entre elles comme des poules sur tous les potins qu'elles avaient pus récolter. En somme, sans personne pour le faire chier. Il profitait des trottoirs déserts, du soleil qui réchauffait le sol de ses rayons encore timides, du silence qui lui permettait de ne pas monter trop fort la musique dans ses oreilles alors qu'il enjambait les foulées. L'air était agréable, il ne faisait ni trop froid, ni trop chaud. Peu à peu, la banlieue s'éveillait, les volets s'ouvraient sur des rues déjà plus animées. Les pères de famille quittaient leur maison pour se rendre à leur bureau, tandis que leur femme s'apprêtait à passer une nouvelle journée à s'occuper de leurs gosses, les emmener à l'école et faire le ménage. Toutes les tâches qui leur incubaient de faire avant que leur mari ne rentre chez eux, leur demandant une bière en se laissant tomber sur le canapé. Bon, ça c'était la banlieue un peu phallocrate sur les bords qu'Isaac avait en tête. En vérité, Snowflake Lane était bien loin des clichés de la famille des années 1950. Les divorces, unions libres et l'explosion des familles monoparentales étaient passés par là et avaient tout chamboulés.

Alors qu'Isaac voyait la jeune femme, vélo d'enfant à la main, il se rappelait ses propres souvenirs d'enfance, lorsque son père lui avait appris à faire du vélo, les nombreuses chutes qu'il s'était prise, les nombreuses larmes que cela avait entraînées aussi avant de savoir fièrement pédaler comme un grand. Il se revoyait encore dans cette rue, essayer de faire du vélo sans les mains, quelques années après, sous les regards rieurs de ses sœurs et ce sentiment de fierté qu'il avait ressenti. Cela le fit sourire et il se rendit brusquement compte que sa main droite s'était mise à trembler sans qu'il puisse la contrôler. Il trouvait cela étrange mais pas vraiment alarmant. C'était sans doute un effet du footing. Il devait sûrement manquer de sucre et faire de l’hypoglycémie ou un truc du genre. Il prit son ipod de sa main gauche pour cacher le tremblement intempestif de celle-ci avant de la glisser dans sa poche naturellement. Il sentait qu'il n'arrivait plus à contrôler les secousses qu'elle produisait et dissimula sa gêne derrière un sourire bienveillant en répondant poliment à la question de sa voisine. « Oui, je suis né ici en fait et j'ai grandi dans ce quartier. Ça fait longtemps que vous avez emménagé ? ». Il devinait que cela devait faire moins de trois ans, car il n'avait gardé aucun souvenir d'elle et se rappelait très bien qui habitait cette maison quand il était encore ici. Les sinistres sorciers de Snowflake Lane, comme il aimait les appeler lorsqu'il était gosse. Pas qu'ils avaient l'air d'être méchants mais Isaac avait toujours pensé qu'ils n'aspiraient pas confiance.

D'ailleurs, cela lui rappelait certains souvenirs qu'il avait oublié, lui évoquant pourquoi il avait toujours pensé que les anciens habitants étaient des sinistres sorciers. Rien avoir avec Harry Potter, mais plus à un mauvais film d'horreur. « Vous savez, j'ai toujours cru que cette maison était hantée. Parfois, quand je passais près d'elle, quand j'étais gosse, c'était comme si je ressentais un truc étrange et plusieurs fois, je me suis retrouvé dans la forêt de Winnipeg sans savoir comment. C'était assez étrange. Une fois, j'avais même du sang sur moi. », dit-il avec sérieux en se remémorant ces passages assez terrifiants qui lui donnait la chair de poule. En y repensant, il se disait que c'était vraiment pas normal ces histoires là. Mais, son esprit fut accaparé par la sensation de léger picotement dans sa main droite, annonçant qu'elle allait prendre la même tournure que l'autre. « J'ai toujours cru qu'il y avait un truc pas net avec cette maison. », dit-il en riant doucement, secouant la tête face aux bêtises d'enfants qui lui revenaient en tête. Une maison hantée, c'était ridicule. « Enfin, je ne sais pas pourquoi je vous raconte ça. J'avais une imagination débordante quand j'étais ga... ». Il n'eut pas le temps de finir sa phrase qu'Isaac fut pris de convulsions. Ses yeux tournaient dans ses orbites et un filet de bave coula sur le coin de ses lèvres alors qu'il laissait tomber son ipod sur le sol. Puis, ces spasmes s’arrêtèrent brutalement aussi vite qu'ils étaient apparurent. « Alors, madame courrier des cœurs. Quelles nouvelles de vos lectrices ? Ces déchets en mal d'amour. », dit-il en donnant un coup de pied dans la poubelle, la renversant brutalement d'un geste. Son ton était narquois, ses yeux froids et inexpressifs et sa tête avait un léger tic à se bouger sur la droite avant de revenir en place. Isaac se mit à rire soudainement sans explication, d'un rire incontrôlable à en glacer le sang alors qu'il s'approchait de sa voisine.