Les joues potelées, le regard endiablé, la petite fille brune aux traits orientaux avançait d'un pas décidé vers son avenir, ou peut-être vers la table remplie de bonbons et autres cochonneries qui se trouvait juste en face d'elle. Cette petite fille c'était moi. J'ai toujours eu un grand intérêt pour la nourriture, surtout le sucré et ce jour-là n'allait pas déroger à la règle.
« Allez viens » Ma main se referma sur le poignet de Dylan, nos parents s'étaient rencontrés quelques années plus tôt, lors de l'arrivée de la famille de Dydy à Winnipeg, maintenant ils étaient amis. Depuis, ma vie était rythmée par mes aventures extraordinaires avec Dylan. Parce que oui ensemble, on allait sauver le monde. Le plan d'aujourd'hui était simple : dévaliser le petit nouveau qui tentait de manger toutes les fraises Tagada
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« y toi, pourquoi tu manges toutes les fraises » Le voleur se retourna, il ressemblait à un écureuil ayant ingurgité trop de noisettes. Dans la vie, il faut savoir prendre des risques. Ces fraises étaient pour nous, pas pour lui et en plus, c'était un copieur, lui aussi avait les yeux bridés. Ni une ni deux, je me lançais dans une tentative infructueuse pour récupérer le pot.
« Hé!!!» Ma mère était un peu folle sur les bords, elle voyait le mal partout et me limitait sur les sucreries. N'importe quoi. Avec Dydy, on avait besoin de ce pot. "Donne!" Le duel venait de commencer, qui allait lâcher en premier. Pas moi en tout cas, ni Dydy, on s'entraînait quasiment tous les jours pour ne pas baisser le regard.
« Tu sais pas parler? » Finis-je par lâcher. C'était pénible, il disait rien. Depuis le début, il n'avait pas décroché un mot, il était malade ? Il avait un petit air de chiot perdu, c'était mignon
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« Oh regardez» Enfin, il venait de parler. Quelques petites paroles qui tintaient doucement dans mon oreille. Il parlait coréen. C'était la première fois que je rencontrais quelqu'un capable de parler cette langue. Tout un coup, il venait de devenir intéressant. Mon regard suivit son doigt avant de se poser sur l'affreux, le terrible Jon ! Le gosse le plus immonde du quartier, toujours dans les jupes de mère et ce bol de fraises étaient à lui.
« On s'en va » Ma main s'enroula autour du poignet du nouveau
« Viens ! » Laissais-je échapper en coréen avant de le tirer derrière moi. Direction notre cachette secrète avec le pot de fraises xD .
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C'est comme ça que tout a commencé, Benji venait de nous rejoindre. Notre duo était devenu un trio et je peux vous dire qu'on a vécu une enfance extraordinaire. On est rapidement devenu inséparable, toujours fourrés chez l'un ou chez l'autre. J'ai toujours très à l'aise avec mes deux hommes et j'ai toujours préféré leur présence à celle des filles de mon âge. De toute façon, j'ai toujours été un peu garçon manqué. L'adolescence a rapidement fait place à l'enfance, mais nos relations n'ont pas changé pour autant. Finalement personne n'a jamais réussi à détruire ce qu'on avait construit. Notre relation était unique. J'ai toujours considéré Dylan comme un frère, pour Benji ça a toujours été différent. J'ai mis du temps avant de comprendre que j'étais tombée amoureuse de lui, mais je n'ai jamais vraiment trouvé le courage de le lui dire par peur du rejet. Notre amitié était tellement « parfaite » je ne me voyais pas la cacher pour une histoire de cœur. Après tout l'amour ça naît et ça meurt n'est-ce pas ?
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"Est-ce que tu veux bien me laisser t'embrasser ? Juste une fois?"Vautrée dans l'herbe fraiche, je tentais en vain d'avancer sur mon scénario. J'aimais le cinéma depuis l'enfance et je rêvais d'être réalisatrice et surtout, je voulais réaliser mes propres films. Je rêvais de voir le monde que je m'étais créée sortir sur grand écran. Mon regard se posa sur Dydy, il avait fumé ou quoi ? Pourtant, ça ne lui ressemblait pas, c'était lui le sportif, celui qui menait la vie la plus saine. Son regard parlait pour lui, la question le gênait, mais je compris bien rapidement qu'il avait besoin de sa réponse. Je le connaissais bien et j'étais bien placée pour savoir qu'il n'était pas très à l'aise avec les filles et les mecs.
« eukay » Je laissais tomber ma sucette et me redressais pour lui faire face. Bon, ça risquait d'être compliqué toute cette histoire, mais je voulais tenter l'expérience. Si je pouvais lui rendre ce service alors j'allais le faire.
« Tu sais que tu n'as pas choisi la personne la plus expérimentée. La seule personne que j'embrasse régulièrement, c'est la peluche que vous m'avez offert avec Benji quand on avait 10 ans » Oui parce que niveau relations amoureuses, je voulais me réserver pour Benji. L'idée d'embrasser quelqu'un autre avait n'avait jamais fait partie de mes plans, mais la personne en question n'était pas n'importe qui. L'embrasser c'était un peu comme se lançer un petit défi, un jeu, rien de bien méchant. Aussi bien l'un que l'autre, nous savions qu'entre nous, il n'y aurait jamais rien de plus que notre amitié !
«Allez, embrasse-moi beau brun!!! » Notre baiser fut court et franchement pas terrible. Beurk, c'était pas si passionnant que ça comme sensation. Y avait rien du tout ! Mon rire se mêla au sien, on était complètement bêtes parfois.
« Imagine dans 50 ans quand on repensera à ce moment, on va en rire pendant des années. Bon t'es pas l'homme de ma vie, mais je te garde comme meilleur ami et comme meilleur punching-ball » dis-je avant de ramasser ma sucette pour continuer ma dégustation. C'est trop bon les sucettes à la pomme.
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« Y a un jour où j'ai pensé qu'on ne pourrait jamais se séparer, qu'on pouvait tout surmonter, mais je me suis trompée !!! » Jamais je n'avais été aussi en colère de ma vie et pourtant, je m'énervais régulièrement, mais là, c'était trop. On avait passé notre enfance ensemble, j'étais folle amoureuse de lui et il venait tout simplement de me détruire comme personne. Mon tempérament et mon comportement en avaient énervé plus d'un. Oui, j'étais insupportable et difficile à comprendre, mais ça n'avait jamais posé aucun problème jusqu'à aujourd'hui. Pour la première fois de ma vie, je me sentais honteuse et minable. Les larmes qui roulaient sur mes joues me troublaient la vue et tout d'un coup, je me suis sentie séparée d'une partie de moi. Ravalant mes larmes avec le revers de ma manche, je lançais un dernier regard à mon meilleur ami ( et seul homme que j'aimais aimé)
« Au revoir Eun Ji » Je ne l'avais jamais appelé comme ça depuis des années, c'était un moyen comme les autres pour commencer à lutter contre cette douleur qui commençait à m'envahir. Douleur qui n'est jamais partie depuis...
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« Allez !!!! » M'agitant dans les tribunes avec mon tee-shirt aux couleurs de l'équipe de Dylan, j'étais totalement hystérique.
« Mais passe !!!! Il est débile ou quoi celui-là » Enfin le rouquin fit la passe à Dylan qui se trouvait à quelques mètres du but. Mes doigts se croisèrent. J'étais en Apnée. Une seconde, deux secondes et le ballon s'envola dans l'air avant de tourner légèrement vers la lucarne.
« BUUUTTTT !!!! » Bondissant dans les tribunes, j'agrippais à un autre supporter
« C'est mon dydy !!! Ouéééé dylan batman yyyyyyyyyyyyyyyya » Il me lança un regard moribond.
« Oups, pardon »
«Vous ne pouvez pas rentrer ! » Soupirant, je farfouillais dans mon sac afin d'en sortir mon pass.
«Allez - y » Snobant le vigile, je m'élançais dans un long couloir que les joueurs n'allaient pas tarder à emprunter pour quitter le bus. Soudain il fit son apparition, les cheveux encore mouillés par la douche qu'il avait dû prendre.
«Dydy !!!» ni une, ni deux je m'élançais dans ses bras. Il m'avait manqué, horriblement manqué. Depuis qu'on était gamin, on faisait tout ensemble et on s'était peut-être même rapproché depuis l'histoire avec Benji. Dylan avait toujours été là pour moi. La distance nous avait éloignée, mais dès qu'il passait pas trop loin , on ne manquait pas l'occasion de se retrouver, comme ce soir-là. Pizza, bières, un film débile, c'était ça nos bonnes
soirées.
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« Allo ? » « Ma chérie... » Au son de la voix de ma mère, je laissais tomber mon stylo Hello Kitty. Ce genre de voix n'indiquait rien de bon. Quelque chose était arrivé. «
C'est Dylan, il a eu un grave accident de voiture » « J'arrive ! » Le voyage fut interminable, le pire de tous, celui que personne n'a envie de vivre. Il me fallut plusieurs heures pour enfin aboutir dans cette pièce aseptisée ou le bruit des machines effraient quiconque passe par la porte. Dylan était là, il dormait. Son visage était recouvert d'ecchymoses, mais il vivait. Les médecins avaient dit qu'ils avaient eu de la chance. Moi, je ne voyais rien d'autre que mon meilleur ami qui aimait tant le sport couché sur un lit d'hôpital. Ma main rejoignit doucement la sienne.
« ça va aller, je suis là... » J'avais beau essayer de ne pas pleurer, j'en étais incapable. Le voir comme ça c'était tout simplement insoutenable...
Une heure passa, puis deux heures... Il n'arrivait pas. Qu'est-ce qu'il foutait ? Son meilleur ami était dans un lit d'hôpital et il n'était même pas là. « Faite qu'il n'ait pas changé de numéro de téléphone » Voila 4 ans, 4 ans que je ne l'avais pas composé et pourtant je m'en souvenais parfaitement. Je n'avais jamais oublié ces chiffres et quand il répondit au bout du fil, il me fallut quelques secondes pour réussir à parler. Durant ces 4 années, il m'avait affreusement manqué et malgré tout ce qu'il m'avait dit, j'avais été incapable de l'oublier. Que je le veuille ou nous, Benji faisait toujours partie de ma vie, je ne pouvais pas me défaire de lui, on avait été trop fusionnel pour ça. Quelques longues secondes me furent nécessaire avant que je réussisse à aligner une phrase correcte.
« Benji.. C'est Mila. Dylan a eu un grave accident, faut que tu viennes tout de suite » Je m'attendais à ce qu'il réponde, qu'il dise quelque chose. Seul le bip du téléphone me répondit, il avait raccroché. Folle de rage je rangeais mon téléphone dans ma poche avant de laisser échapper un très joli
« connard » dans la salle d'attente de l'hôpital. Il me détestait, mais Dylan avait besoin de lui !
« Sourd ? » Je me laissais tomber sur ma chaise. «
Comment va-t-il faire pour jouer ? » Dylan vivait pour le foot, il aimait ça, c'était sa passion, la chose qui le poussait à le lever ce matin. Il pouvait affronter les blessures physiques avec le temps, il aurait été en mesure de retrouver les terrains, mais désormais ces chances de reprendre venaient de s'évanouir. Dylan allait devoir arrêter le foot. Cette annonce me cloua sur place. Ça ne pouvait pas être pire pour lui.
Après l'accident de Dylan, j'ai dû repartir en Californie pour quelques mois. En plus de mes cours habituels, j'ai réussi à obtenir une place dans un cours un peu plus -spécial- sur la langue des signes. L'année a fini par se terminer. J'ai obtenu mon diplôme et je suis revenue à Winnipeg. Hors de questions de partir vivre chez mes parents. Dylan étant dans une très mauvaise passe, il était hors de question qu'il continue sur sa lancée. Voilà pour quoi, je me suis incrustée chez lui ! Il était peut-être sourd, mais il n'était pas mort. Il se sentait peut-être étalé par terre, mais il allait devoir se relever et si je devais le porter alors je n'hésiterais pas une seule seconde. Ensemble, on avait toujours réussi à s'en sortir et maintenant plus que jamais on allait réussir à surmonter cet obstacle.