I'M A FUCKING DREAMER◄ « C’est quoi ton prénom ? » Tu regardes la petite fille. Elle sourit et elle est plutôt jolie avec ses grandes boucles rousses et ses pommettes. Alors ? Elle attend. C’est quoi ton prénom ? « Je sais pas. » Si, tu sais. Mais t’as un peu trop honte pour le dire, un peu trop peur aussi. Après tout, t’es pas vraiment comme les petits merdeux qui passent leurs temps à taper dans un ballon. T’es pas non plus un petit intello et encore moins un fils à maman. T’es unique en ton genre parce que t’es le petit gars de sept ans qui s’habille avec des vêtements dépareillés, à la mode de la dernière décennie. T’es le gamin avec une crinière qui cascade sur tes épaules, avec les pieds toujours nus et les ongles sales. T’es celui qui court, qui grimpe, qui bouge, tout le temps, sans répit et qui se tait. Avec tes grands yeux clairs, on dirait presque un animal, un espèce de chaton à taille humaine. C’est pas que t’es pas sociable ; personne ne te ressemble, ne veut te ressembler, c’est tout. Alors, t’es assez grand pour créer ton propre univers où les enfants sont tous ignorants et les adultes plus encore. La seule chose qui compte un tant sois peu pour toi, c’est le petit mec qui te ressemble et le bébé à la maison. Même si tu ne leur parle pas des masses. Même si à part votre sang, vous n’avez absolument rien en commun. « Tout le monde a un prénom. Même les gens bizarres en ont un. » Tu te demandes comment il se fait qu’elle t’adresse la parole, elle. Elle est peut-être idiote ou juste naïve. Ou simplement gentille. Mais t’as pas trop l’habitude alors tu fronces les sourcils et tu serres les poings. « Lane Kovu Blackwood. » Tout le monde t’appelle Kovu. Ce n’est pas ton premier prénom, pourtant mais Lane est le prénom de ton grand-père paternel et t’as jamais pu blairer le fait de porter le même nom qu’un vieux qui bouffe les pissenlits par les racines depuis un bon moment. Alors, c’était Kovu. Comme le fils des traîtres dans le Roi Lion, comme celui qui deviendrait roi. Le lion noir. T’adorais ça. « Kovu, ça te va bien. Kovu c’est toi. » Et tu le savais.

I'M A FUCKING RUNNER◄ Tu cours. Encore et toujours, à en perdre haleine, à en perdre la raison. Tes pieds nus sont rouges, presque sanglants de parcourir cette terre, toujours la même, inlassablement. Mais tu continues, même si c'est douloureux, même si tes membres te crient d'arrêter. Parce que ça t'empêche de penser ; parce qu'être seul, c'est bien la seule chose qu'il te reste, dans ton esprit déjà tourmenté d'adolescent torturé. Tes muscles gémissent, ta vue se trouble et, comme c'était prévisible il y a une heure déjà, tu t'écroules. Là, les bras en croix, les yeux rivés sur le ciel, tu n'arrives même plus à respirer, tes poumons semblent ne plus se souvenir de la manière dont ils fonctionnent. Ta gorge est en feu et ta poitrine est si acide que t'as envie de chialer. De dégueuler. De pleurer. Et ironiquement, là, perdu au milieu de nul part, dans cet océan d'immondice, t'as jamais été aussi bien. Dans ce trou paumé, dans cette fausse campagne, le visage baignée de sueur, tu souris. Te te fendrais bien la gueule même si t'as aucune idée de la cause de ton fou rire. Tu t'en tordrais le ventre jusqu'à ce que tu te souviennes que t'as quatorze ans, quatorze de putains d'années passées avec les ombres de parents inexistants, d'un frère que tu ne connais à peine et d'une petite sœur que t'aimerais bien sauver. Sauver de ce bout de misère, de cette mère indigne. De son rôle qu'elle t'a imperceptiblement délégué, des regards vides et du bruit de moteur qui signent son départ lorsque tu pars te coucher. T'as envie de lui cracher à la gueule qu'elle n'a pas le droit d'abandonner comme ça, que des chiens s'occuperaient mieux d'eux. Qu'elle a détruit sa famille avant même qu'elle n'existe et qu'elle ne leur offrait aucune perspective d'avenir en posant trois simples sandwichs sur la table. Qu'elle aurait dû se protéger, qu'elle aurait dû y penser. Comme l'adulte qu'elle était censée être. Comme la mère qu'elle ne serait jamais.
T'aurais adoré rester l'ensemble de la nuit tapi dans un fourré, à regarder la lune et les étoiles, à te perdre dans ce qui t'échapperait toujours. Mais l'heure tourne et la réalité, cruelle et vile, vient te chercher.

I'M A FUCKING MONSTER◄ Elle danse, elle danse entre tes doigts. Elle virevolte, se courbe, se tend, s'étend, se nourrit de toi, de tes yeux, de ton coeur. De ta simple demande ; elle obéit, gracile et délicate. Elle te brûle presque, de sa langue incandescente, de ses caresses mortelles. Elle joue avec toi, elle te flatte, elle te sourirait presque. Et tu es fasciné ; tu adores ça. Regarde-toi, mais putain, regarde-toi ! Vois le petit con que tu deviens, que tu es devenu, perdu entre deux verres, sombrant entre deux pétasses qui ressemblent comme deux gouttes d'eau à ta mère. Ca fait bien longtemps que personne t'appelles plus Kovu, une éternité que tu sembles ne plus te soucier de ces fausses gamineries, de tes seules souvenirs heureux. C'est ça que tu voulais, couché dans cette nature que tu clamais t'appartenir ? Depuis quand t'as  pas quitté ces draps, depuis combien de temps tu te conduis comme le dernier des connards ? Il est loin le gamin qui pleurait l'absence de sa pute de mère, le bébé qui sanglotait de ses faux sourires et des bleus de sa sœur. D'ailleurs, t'y as pensé à la gamine ? L'enfant qui te regarde dans l'embrasure de sa porte, la fille qui s'épanouit entre deux abrutis pas foutus de rattraper les déboires de sa génitrice ? T'entends ses murmures et ses plaintes lorsque tu la retrouves en larmes dans son plumard, saignant de honte et de colère ? Mais t'es incapable de réagir, caché dans les tréfonds de ta douleur, à la regarder mourir à petits feux, plongeant avec elle dans son anorexie dévorante, dans sa perte d'identité mortelle. Et à l'instant même où tu réalises ce que t'es en train de perdre, il est déjà trop tard. Le feu de ses cheveux contraste avec le pâleur immortelle de ses traits.

I'M A FUCKING DESERTER◄ « En fait, j'arrive même pas à être en colère contre toi. T'es tellement pathétique que tu me donnes envie de vomir. Voir ton visage me donne envie de partir.  Au revoir maman, j'me casse de ce bled, de ce taudis qui pue la merde. Qu'est-ce que t'essaies de faire, là ? Ne t'approches même pas. T'as perdu ce droit à l'instant même où elle est partie, au moment précis où j'ai vu ses yeux se fermer pour ne plus jamais s'ouvrir. Tu sais ce qu'elle m'a dit ? Est-ce t'as au moins entendu ses derniers mots à ta petite princesse ou est-ce que te faire sauter par toute la ville était plus important ? Tu crois qu'on les entendais pas, tes cris de joie, tes gémissements de plaisir ? Tu pensais vraiment qu'on n'avait pas honte de toi, de ta décadence et de ta chute permanente ? J'préferais boire que t'attendre, elle préférait se mutiler que se rendre à l'évidence. Quoi, tu pleures ? Parce que tu ressens quelque chose maintenant ? Oh bordel, laisse moi rire. T'es tellement pathétique, j'te jure, ça m'fait marrer.  Regarde, regarde bien ; parce que tout ce qui se trouve autour de toi, c'est toi qui l'a construit. T'as même pas assez de tune pour payer un cercueil à ta fille. Le monstre qui te parle et la seule personne qui t'aimait s'en sont allé. Dis-toi bien qu'aujourd'hui, t'es seule et les uniques preuves que t'aies eu une famille un jour seront nos chambres vides et tes larmes amères et sales. »
Un claquement de porte, un bruit de moteur. Cette fois, ce n'est pas maman Blackwood qui part travailler. Cette fois, ce n'est pas un gamin de quinze ans qui se réveille en sursaut. C'est l'abandonné qui abandonne, le trahi qui trahit, le blessé qui blesse. C'est l'homme qui grandit. Dans un appart', au bord de la mer. Avec l'eau courante et l'électricité. Il a enterré à jamais son âme brisé et erre comme un fantôme dans les rues de la ville, ombre perfide du gamin abandonné au cœur d'une société qui à son tour, la rejette comme elle l'a toujours fait.