« Cher Journal,
Tu ne me connais pas encore mais tu vas apprendre à le faire. Ici, grâce au papier, je vais coucher mon ressenti, mon vécu et tout ce qui peut ou a bien pu se passer dans ma petite vie paisible. J’ai vingt-deux ans et ma vie n’a rien d’extraordinaire. Je vis à Winnipeg depuis toujours et la maison de mes parents est très accueillante. Je rêve de liberté et d’amour mais je sais que tout cela arrivera en son temps. En attendant, je vais tenter de tout expliquer en détails. Alors accroche-toi et ne lâche surtout pas le fil de ce que je m’apprête à te dévoiler.

Comme je te l’ai dit, j’ai vingt-deux ans. Mais bientôt vingt-trois. Je les fêterai le neuf juin. J’ai deux frères plus petits que moi. Agés respectivement de vingt et dix-huit ans. Mais ils ne vivent plus vraiment à la maison. L’un se met en ménage avec sa petite amie alors que l’autre est en internat du fait de ses études. Quant à moi, je vis toujours chez mes parents et je dors quelques fois chez mes grands-parents. Cette année est une grande année pour moi. Soit ça passe, soit ça casse. Et autant dire que je préfèrerais que ça passe. Mais avant d’en arriver là, il faudrait peut-être que je te dise que je suis célibataire mais amoureuse. La situation est très compliquée. Elle l’est toujours, tu me diras… Mais pour le coup, elle l’est vraiment…

Il y a deux ans, alors que je revenais de cours après huit heures de travail, j’ai découvert quelque chose qui allait changer ma vie. Tu ne devineras jamais ce que c’était. Et autant te dire dès maintenant que jamais je ne voudrais que ça se soit passé autrement. Même si pour ça il a fallu que j’essuie une tristesse encore beaucoup trop présente. Les temps étaient durs. Je me disputais sans arrêt avec ma meilleure amie à cause de son petit ami. Elle ne voulait rien entendre alors qu’il était violent avec elle. Je ne comprenais pas pourquoi et surtout comment un être humain pouvait en arriver à de tels extrêmes. Mais c’est pourtant arrivé… Alors que je me rendais chez elle pour essayer de la raisonner une énième fois, elle m’a appris une chose à laquelle je ne m’attendais vraiment pas. J’ai failli en perdre mes jambes tellement la nouvelle m’a surprise. Elle était désemparée et surtout complètement perdue. Et pour cause ! Elle était enceinte ! A vingt ans, se retrouver enceinte d’un garçon qui ne cesse de vous martyriser, c’est juste affreux ! Je lui ai demandé ce qu’elle comptait faire mais elle ne le savait encore pas. Je lui ai dit d’avorter mais elle en était déjà à un stade avancé de sa grossesse et n’avait pas eu le courage de me le dire avant. Je lui ai alors promis que je serai là pour elle, quoi qu’il arrive. Mais je savais que c’était m’embarquer dans une aventure tumultueuse et très dangereuse. Mais que voulais-tu que je fasse ? Elle était ma meilleure amie…
Trois mois ont passé et elle a eu son enfant. Elle pensait pouvoir s’en occuper convenablement mais elle n’y est pas arrivée… L’arrivée d’un bébé dans leur couple n’a pas empêché son copain de continuer à la faire souffrir. Je l’aurais tué pour ça mais je n’en avais pas le courage. Chelsea n’arrivait pas à allier cours et l’éducation de son enfant. Je l’aidais du mieux que je pouvais mais c’était loin d’être simple… Puis l’inévitable se produit…
Je te parlais tout à l’heure du jour où je suis rentrée chez moi après huit heures de cours, eh bien nous voilà arrivés à la grande révélation. Mes parents étaient sortis diner chez des amis, j’étais donc la seule à la maison. Mais avant que je n’ai pu glisser la clé dans la serrure de la porte d’entrée, j’ai pu voir que quelque chose d’inhabituel se trouvait juste sur le perron. Au début, j’ai cru que je rêvais mais c’était pourtant bien réel. Un bébé se trouvait là, emmailloté dans un simple linge de bain. Il ne pleurait pas, il dormait paisiblement. Lorsque je l’ai pris dans mes bras, il se réveilla et me fixa d’un regard poignant. Ses yeux disaient « ne m’abandonne pas, s’il te plait » mais il ne pleurait toujours pas. J’ai tout de suite reconnu Jeremy, le fils de ma meilleure amie Chelsea. Je ne comprenais pas ce qui se passait. J’ai paniqué en me demandant ce qui lui était arrivé et surtout pourquoi son fils se trouvait devant ma porte si tard le soir. Mes questions ont vite trouvé une réponse lorsque j’ai remarqué que dans le linge qui recouvrait Jeremy, il y avait une lettre. Une lettre signée Chelsea. Je suis rentrée à la maison et j’ai déposé Jeremy dans ma chambre en faisant bien attention ce qu’il ne tombe pas. Puis j’ai lu la lettre. La boîte de mouchoirs y est passée. Chelsea m’expliquait que la vision qu’elle avait de la vie avec son fils ne s’apparentait pas du tout à la réalité. Elle disait aussi qu’elle ne pouvait plus rester avec son petit ami, qu’elle avait trop peur qu’il s’en prenne à leur enfant. La lettre terminait de cette manière : « Je t’en prie Danette chérie, ne laisse pas mon fils être adopté par des personnes horribles. Je t’ai choisie parce que je sais que tu t’occuperas bien de lui. Qu’avec toi, il est entre de bonnes mains. » Elle expliquait qu’elle allait changer de vie, quitter le Canada mais qu’elle ne me dirait pas où elle irait parce qu’elle ne voulait pas que je la retrouve. Il a fallu que je relise sa lettre des dizaines de fois avant de réellement comprendre pourquoi elle en était arrivée là. Et une fois que les pleurs ont cessé, je me suis mise à la détester. Comment pouvait-elle faire ça à son propre enfant ? Comment allais-je bien pouvoir expliquer à Jeremy que sa mère l’avait abandonné juste par désir de vivre ? Oui, j’ai honte de le dire, mais je l’ai détestée. Et je ne sais pas comment je réagirais si elle revenait à Winnipeg aujourd’hui.
Le père de Jeremy n’a jamais cherché à rencontrer son fils. Il a même quitté la ville sans laisser de nouvelles. Je ne pouvais donc pas abandonner cette magnifique petite bouille. J’allais devenir sa maman. Mais la question qui se posait était comment allais-je l’annoncer à mes parents ? Je savais qu’ils ne me laisseraient pas tomber. Je savais aussi que j’allais devoir trouver un travail pour subvenir aux besoins de Jeremy. Tout cela m’apparaissait comme irréel au début mais les choses ont vite pris un sens… Mes parents ne se sont pas opposés au fait que je devienne sa ‘maman’ même s’ils m’ont vite mise en garde sur les responsabilités que ça engendrait.

Jeremy a aujourd’hui deux ans et il va bientôt faire ses premiers pas à l’école. L’année où je l’ai découvert devant ma porte, j’ai pensé que tout deviendrait compliqué avec lui dans ma vie. Mais Chelsea avait pris soin de faire bien les choses avant de partir, ou tout du moins elle a essayé. J’ai découvert qu’un papier à valeur légale me désignait comme la tutrice de Jeremy. Le juge ne s’est donc pas opposé à ce que j’obtienne sa garde. Son père n’habitant plus à Winnipeg, Jeremy, n’avait donc plus de parent responsable sur cette terre. Je suis sa tutrice et même plus. Il est vraiment comme mon fils même s’il sait que je ne suis pas sa vraie maman. Il ne pose encore pas trop de questions. Il n’a que deux ans. Mais je sais qu’un jour, il voudra comprendre et je ne suis pas encore prête à tout lui expliquer. Je sais aussi que ce moment n’est pas encore là et que j’ai encore le temps de m’y préparer.

En attendant, je poursuis des études de psychologie. Je suis en troisième année de licence à la faculté de Winnipeg. En parallèle, je passe les concours pour devenir éducatrice de jeunes enfants. J’ai vingt-deux ans et j’ai redoublé une classe de lycée. J’ai même arrêté mes études lorsque Jeremy est entré dans ma vie. En plus de Jeremy et mes études, je travaille en tant que serveuse au Starbuck coffee. Ça ne me permet pas de payer un logement, c’est pourquoi j’habite toujours chez mes parents. Mais j’ai dans l’idée de bientôt partir. J’économise pour en tout cas.

Maintenant, abordons un sujet difficile… Mes peines de cœur. Je n’ai pas connu beaucoup de garçons. J’ai eu des petits amis mais ça n’a jamais été réellement sérieux. Jusqu’à Tyler. On s’est rencontrés au lycée. Nous étions tous les deux dans la même classe. Notre histoire était magique. On s’aimait vraiment, puis Jeremy est arrivé… Tyler n’a pas compris que je veuille m’occuper de lui. Il a bien essayé de comprendre mais il n’a pas réussi… On est restés encore trois mois ensemble avant qu'il ne mette fin à notre histoire. Aujourd’hui, il fait des études en droit et on se croise de temps à autres mais c’est toujours difficile de se parler. Il est sorti avec d’autres filles après moi et le voir avec chacune d’entre elles me brise le cœur à chaque fois. Mais je le comprends et je suis bien forcée de faire avec. Je sais, quelque part, que notre histoire n’est pas terminée. Mais je sais aussi que tant qu’il n’acceptera pas pour Jeremy, nous ne trouverons pas de terrain d’entente. Je déteste ne plus pouvoir le toucher, ne plus pouvoir sentir ses bras m’enlacer… Ses baisers de miel étaient un merveilleux réconfort et je pouvais lire dans ses yeux qu’il ne mentait pas lorsqu’il était avec moi. Je l’aime encore tellement… Et j’espère qu’un jour les choses s’arrangeront entre nous et qu’on pourra reprendre notre histoire d’amour là où on l’a laissée. Mais c’est compliqué…

Parenthèse tristesse et amour close. Tu en apprendras plus la prochaine fois. Je dois aller m’occuper de Jeremy. Il ne cesse de me répéter qu’il a faim et je dois bien avouer qu’il est déjà tard. Je me suis laissée emporter par mes émotions pour l’écriture. Je te retrouverai surement demain. Bonne soirée Journal.

Dana, le 23/03/2013 à Winnipeg. »