Un vecteur est un... les paupières d'Albane se fermèrent un instant. Juste le temps de sentir ses yeux picoter de fatigue, de savoir que sa tête était prête à tomber contre la table à la moindre inattention de sa part. La jeune fille doutait de ne seulement pouvoir tenir encore un quart d'heure, temps qui restait avant que son cours de maths ne se termine. Autant dire une éternité. Elle aurait pu se distraire d'une manière ou d'une autre, éviter de compter les minutes bêtement en se décidant à trouver un jeu sur son portable, mais son état de fatigue intense ne lui suggéra rien de plus que de croiser les bras devant elle pour y poser sa tête.... "quelques secondes", pensa-t-elle. Et c'est au terme de ces "quelques secondes" qu'elle fut réveillée par la sonnerie et les bruits de chaises qui commençaient à se répandre dans la classe. Elle se redressa rapidement, rangea la trousse qu'elle avait sortie -sans trop savoir pourquoi-, et sortit en précipitation de la salle. « Pardon, poussez-vous... » répétait-elle aux lents de service qui en étaient encore à souligner leurs titres. Des intellos, pour la plupart, des types qui attendaient leurs potes en discutant au milieu de la rangée comme s'ils étaient seuls au monde, pour les autres.

Bientôt, Albane atteignit la porte d'entrée de la classe, qu'elle franchit comme s'il s'agissait d'une libération véritable. Elle avança d'un pas déterminé vers son casier, mais au bout de quelques mètres à se frayer un chemin entre les lycéens, l'un d'eux la percuta plus violemment. « PUTAIN! » fit-elle volontairement assez fort, assez las de demander à tout le monde de se pousser parce qu'ils avaient tous quelque chose de mieux à faire que d'avancer. En réalité, elle était déjà assez énervée comme ça; Aléa n'était même pas là aujourd'hui, et elle s'était pris la tête avec sa sœur le matin même. Elle allait en taper un, un jour. « Tu peux pas regarder où tu vas, gros lard?! » Elle ne savait même pas à qui elle s'adressait, elle ignorait s'il était gros ou non: pour l'instant elle ramassait juste son sac, qui était tombé dans la collision. De toute façon, ça ne changerait pas grand chose, qu'il soit gros ou non. Elle l'avait décidé: c'était un con.

Il avait fallu que quelqu'un lui rentre dedans... Albane s'enerva donc, comme il lui semblait quasi logique qu'elle le fasse. Et en plus, le type en face d'elle semblait vouloir répliquer. C'était une très, très mauvaise idée. Visiblement il ne connaissait pas la jeune Everdeen; il aurait tracé son chemin, si ç'avait été le cas. Heureusement pour lui, Hunter avait décidé de s'interposer avant qu'il n'ait le temps de l'ouvrir. C'était définitivement une bonne chose, sa présence éviterait certainement la création d'une nouvelle guerre mondiale dans les couloirs du lycée. Et Albane n'en doutait pas, il y aurait eu du sang sur les murs -pas le sien, en l'occurrence. Quand elle eut fini de ramasser ses affaires, Albane soupira lourdement, s'appliquant à lancer un regard de chien enragé en la direction du type qui lui était rentré dedans. Histoire qu'il comprenne.

Lorsqu'elle se releva, elle prévit de partir sans demander son reste, mais Hunter lui demanda ce qu'elle avait pris au petit déjeuner pour être si énervée. Elle plissa les yeux, comme si ce qu'il venait de dire était ridicule. « C'est pas le petit déj le problème, c'est ces abrutis, là! Il peut pas regarder où il va non? » En réalité, elle n'avait pas pris de petite déjeuner. Ni de dîner, la veille. Et si elle s'en rappelait bien, elle n'avait mangé qu'une dizaine de grains de riz au déjeuner précédent. Albane ne mangeait plus. Presque plus. Peut-être que cela contribuait également à son humeur massacrante. Elle s'appliquait également à ce que personne ne le sache; elle ne tenait pas à être fichée comme une anorexique de service. Elle-même se convainquait qu'elle était parfaitement en contrôle de la situation. À vrai dire, elle n'aimait plus manger. « J'sais pas, y a juste des jours où il vaudrait mieux rester couchée. » Lança-t-elle en replaçant la hanse de son sac sur son épaule. « Pourquoi tu m'aides? » demanda-t-elle comme si elle se posait sincèrement la question. Comme si elle n'aimait pas être aidée. Comme si elle ne voyait pas de raison qu'on s'intéresse à elle. Un sourire malicieux en coin, elle reprit. « Aaah, non, suis-je bête. C'est le gros lard que tu aides, en fait, tu sais pertinemment que je lui aurais fait la peau si tu n'étais pas intervenu... » Lança-t-elle en levant les yeux au ciel, l'air exaspérée, même si un très léger sourire adoucissait ses traits malgré elle. « Tu le défends, c'est mignon... C'est ton copain? » Elle n'avait aucune idée de ce que cachait Hunter, elle ne disait ça que parce qu'elle savait combien ça pouvait énerver les garçons qu'elle suggère qu'ils étaient attirés par  leurs amis. Elle, elle n'en avait rien à faire de connaître leurs préférences sexuelles. Elle voulait juste rire un peu. En l'occurrence, elle affichait un sourire provocateur et haussait un sourcil, précisément pour le taquiner... et plus si "désaffinités".

Albane n'avait aucune idée de ce qu'elle venait de faire. Pour elle, elle venait juste de titiller l'égo d'un jeune homme encore trop peu viril pour qu'on mette en doute son orientation sexuelle. Elle était bien loin de se douter qu'en réalité, il était fixé; il aurait tout à fait pu sortir avec le "gros lard", techniquement. Il ne fit cela dit aucune réflexion, ce qui était probablement plus sage pour que Albane ne découvre pas son secret. S'il s'était trop énervé, elle aurait certainement compris qu'il cachait quelque chose, que son emportement avait une signification plus profonde qu'un simple problème de fierté mal placée. Elle gardait donc son rôle de peste, lui restait, aux yeux de tous, tout à fait hétéro. Tout le monde était probablement content.

Mais alors que la jeune femme pensait qu'il allait partir, il sortit de sa poche un couteau suisse dont il lui venta les mérites, suggérant que le modèle pour filles avait même un rouge à lèvres. « J'hésite; est-ce que c'est ingénieux ou complètement con? » Elle était sincère, elle n'arrivait pas à se décider. En attendant, Hunter continuait de commenter l'objet avec une attention toute particulière, ce qui fit arquer un sourcil à Albane. Elle était pour tout dire assez intriguée qu'il lui parle soudainement d'un couteau suisse... « Ok, est-ce que c'est genre un discours de film où tu prétends m'informer mais où en réalité tu me menaces? » Elle était à moitié sérieuse. Elle grimaçait d'un air un peu méprisant, comme si le fait qu'il la menace avec un couteau suisse l'amusait plus qu'autre chose. « Parce que si c'est vraiment pour m'expliquer comment marche un couteau suisse, j'en ai un peu rien à foutre. » Elle ne disait même pas ça spécialement méchamment, elle était juste franche et avait cette fâcheuse tendance à dire tout ce qu'elle pensait. En l'occurrence, même si elle ne l'avouait pas encore à haute voix, il lui paraissait un peu... "débile".