« Journée d'infortune, heureuse rencontre ? »

Surtout, il n'était pas insensible aux couinements douloureux du chiot qui regardaient les deux individus avec des yeux affectueux et malheureux. Il avait beau être un con, il n'avait pas un cœur de pierre. « Prends le dans tes bras. On va chez le vétérinaire. ». Isaac s'était relevé, et avait ouvert la portière passager de sa voiture pour qu'elle puisse monter facilement avec le chiot en détresse. En se retournant, il voyait que la jeune femme était toujours accroupie, près du chiot et le regardait avec un drôle d'air, en se demandant sûrement si il plaisantait ou bien si il était sérieux. Dans tous les cas, elle ne semblait pas lui avoir pardonné pour son attitude précédente. C'était assez agaçant. « Bon, tu viens ou t'attends le déluge ? C'est pas comme si t'avais une meilleure option. », dit-il légèrement exaspéré et impatient, en tapotant sur la portière, en la voyant réfléchir. C'était quand elle voulait, mais le plus tôt était le mieux. Il allait pas la manger quand même. Il n'eut pas à attendre longtemps, quelques secondes plus tard, elle prenait délicatement le chiot dans ses bras alors que celui-ci couinait toujours mais se laissait faire, et passa à côté d'Isaac sans lui adresser un regard en s'installant sur le siège avant. Il souffla en se disant qu'elle était antipathique et ferma la portière avant de contourner le véhicule pour s'installer au volant. « En fait, je suis Isaac. ». Il lui souriait cordialement, dans l'idée de rompre le silence froid et pesant qui s'était installé entre eux depuis le mini clash qu'ils avaient eu. Si il avait vraiment voulu rompre la glace, il aurait pu s'excuser pour l'avoir engueulé quelques minutes auparavant mais il ne voulait pas lui donner ce plaisir. Il était trop fier pour ça. Sans dire autre chose, il démarra la voiture pour se rendre en centre-ville.

 

« Journée d'infortune, heureuse rencontre ? »

Son attitude positive eut au moins le don de dérider la jeune femme qui lui répondit finalement. Seulement trois petits mots, mais assez pour lui donner son prénom. Il avait même réussi à obtenir un sourire, c'était une véritable victoire. Attention, si elle ne faisait pas attention, elle pourrait même rire un bon coup. Enfin, ça, Isaac n'y croyait pas trop. Fallait pas trop pousser non plus. La voiture défilait sur les routes de Snowflake Lane, à allure régulière pour quitter la banlieue résidentielle et tranquille de sa jeunesse. Le jeune Blackbird ne voulait pas trop pousser Aelya à parler. Apparemment, c'était le genre de fille à avoir un sacré caractère, qui osait dire ce qu'elle pensait sans se soucier des conséquences. Ce n'était pas pour lui déplaire, il aimait quand on lui tenait tête, jusqu'à un certain point, parce qu'au final, Isaac voulait toujours avoir le dernier mot et avait une fierté un peu trop présente, alors il attendait patiemment qu'elle se livre d'elle-même, ce qu'elle ne tarda pas à faire. Donc, elle venait d'arriver en ville il y avait à peine quelque jours. C'était logique car son visage ne lui disait rien du tout. Enfin, il s'était douté qu'elle avait du arriver durant ces trois dernières années car il l'aurait remarqué autrement, elle était jolie et avait un fort tempérament. Autant dire qu'elle était le genre de filles qu'on remarquait aisément. Aelya ne semblait pas vraiment beaucoup plus jeune que lui, ils auraient du être dans le même lycée si elle était arrivée à Winnipeg plus tôt. Enfin, là n'était pas la question. « Et oui, après tu as décidé de m'attaquer férocement en t'énervant pour rien... Je blague », dit-il en voyant le regard noir qu'elle lui jetait, sans la moindre trace d'amabilité de sa part. « C'était une blague. ». Il tenta un sourire de circonstance mais elle l'ignora en se tournant vers le chien pour voir si il allait bien.

Bien, en deux secondes, il avait gâché le semblant de civilité qui s'était instauré entre eux. Typique d'Isaac. Enfin, ce n'était pas seulement de sa faute, si elle n'était pas capable de reconnaître une blague aussi, ils n'étaient pas sorti. Le trajet allait être long, très long. Il quitta Snowflake Lane pour rentrer dans le quartier central de la ville de Winnipeg. En passant devant une école primaire, la voiture dut passer sur un espèce de dos-d'âne, qu'Isaac n'avait pas remarqué, ce qui fit qu'il le prit un peu rapidement et le véhicule bougea fortement alors que ses fesses rebondissaient sur son siège quand la voiture redescendit du ralentisseur. L'aboiement du chiot sortit le jeune homme de son silence. « Merde, désolé. Je l'ai pris un peu vite, je l'avais pas vu. Il va bien le chien ? », demanda-t-il à Aelya, en regardant quand même dans son rétroviseur intérieur l'animal qui s'était recroquevillé sur lui-même sur la banquette arrière. Pauvre bête, vivement que le vétérinaire le soigne, Isaac se sentait affligé par la blessure du chiot et n'aimait pas le voir ainsi. Il lui faisait de la peine. C'était dans des moments de ce genre que l'on percevait toute la sensibilité du jeune homme qu'il mettait un poing d'honneur à cacher cependant. Tout comme la fois où sa mère l'avait abandonné. Ou encore lorsque son père était mort. Enfin, malgré tout, ces moments là étaient rares et ne duraient jamais bien longtemps car déjà, Isaac reprenait une attitude plus détendue et moins soucieuse, bien qu'il était intrigué par le chiot, mais aussi par celle qui l'avait trouvé. « On est bientôt arrivé, c'est au prochain croisement. J'espère qu'il y aura pas trop de monde ». Le véhicule s'immobilisa devant un feu rouge alors qu'Isaac mettait son clignotant à droite pour pouvoir tourner lorsqu'il le pourrait.

« Faudra qu'on trouve son maître après aussi. Il y a sûrement des affiches en ville ou à Snowflake. Un chiot pareil, il doit sûrement avoir une famille qui est à sa recherche. Enfin, si tu veux bien que je t'aide à le retrouver. Je me sens un peu responsable de lui maintenant. », dit-il poliment en se tournant vers Aelya alors que le véhicule était toujours à l'arrêt devant un feu rouge. Elle ne semblait pas faire le moindre effort pour paraître aimable, sans doute parce qu'il n'avait pas été très sympathique depuis le début et qu'elle lui en voulait toujours. Il se tourna vers le chiot, qui lui était beaucoup moins rancunier, et pencha sa main pour lui gratter la tête alors que celui-ci couinait autant parce qu'il avait mal mais aussi parce qu'il était heureux d'avoir un peu d'attention. Le klaxon du 4x4 qui se trouvait derrière lui lui indiqua que le feu était vert et Isaac reprit la route non sans pester contre l'idiot impatient qui ne pouvait pas patienter deux secondes. « Voilà, c'est ici ». Il gara la voiture dans le parking extérieur du bâtiment avant d'éteindre le moteur et de sortir du véhicule. Aelya fit de même en ouvrant la portière arrière pour prendre le chien et de se rendre dans le bâtiment. Isaac voulait lui demander si elle avait besoin d'aide mais elle semblait très bien s'en sortir toute seule, le chiot dans les bras. Il lui ouvrit donc la porte et la laissa passer avant d'entrer à son tour dans la salle d'attente. Elle n'était pas bondée, mais il y avait bien deux-trois personnes accompagnées de leur animal domestique qui étaient avant eux. En s’asseyant à côté d'Aelya, il lui sourit en espérant que l'atmosphère serait moins tendue entre eux maintenant qu'ils étaient arrivés. Il était tout autant le sauveur du chiot qu'elle après tout.

 

« Journée d'infortune, heureuse rencontre ? »

Isaac n'était pas du genre à rester silencieux, surtout lorsqu'il s'emmerdait, mais comme Aelya s'occupait du chiot, le temps que ce soit leur tour, et vu leur relation à peine cordiale depuis le départ, il préférait encore se taire pour le bien commun. Il attrapa un magazine qui traînait sur une table de la salle d'attente et le feuilleta rapidement. Évidemment, le magazine traitait des cas animaliers ce qui eut vite fait de l'ennuyer profondément. Qu'est ce que cela allait lui apporter de savoir que la gestation d'une éléphante était la plus longue de tous les mammifères et qu'elle durait plus de 20 mois ? Rien. Il s'en foutait. Ce n'était pas comme si il allait avoir un éléphant de compagnie, de toute façon. Cette pensée le fit sourire. Il imaginait aisément la tête de ses voisins si ils ramenaient ce gigantesque animal dans le quartier. Quoique, ce serait l'attraction de Snowflake, et il pourrait se faire un petit paquet de fric. Fallait juste convaincre Camélia pour qu'elle accepte qu'un éléphant trône dans leur jardin. Et tant pis pour les fleurs. De toute façon, elle n'avait jamais eu la main verte. « Au suivant. ». La voix du vétérinaire vint interrompre ses pensées et en relevant la tête, il s'aperçut qu'Aelya s'était déjà levée, le chiot dans les bras, et suivait le vétérinaire dans son bureau, sans même l'attendre. Isaac se leva à son tour et jeta le magazine sur une table basse avant de les suivre dans la pièce voisine. Le diplôme du vétérinaire était accroché fièrement au-dessus du bureau de celui-ci, mis à part ça, le spécialiste avait un goût très étrange en ce qui concernait la décoration. Très animalier, à vrai dire. Enfin, les goûts et les couleurs...  

Isaac s'approchait de la table d'auscultation alors que le vétérinaire leur demandait le nom du chiot. Évidemment, Aelya se tourna vers lui, ne sachant que répondre. Et pour cause, ce n'était pas leur chien. Il n'en savait pas davantage, il n'était pas médium. « On a qu'à l'appeler Burger. », plaisanta-t-il, en offrant un sourire moqueur à l'adresse de la jeune femme. Si elle n'était pas contente, c'était pareil. Elle n'avait qu'à répondre au lieu de se tourner vers lui. Puis, Burger, c'était sympa comme nom de chien. On avait l'impression d'avoir un fast-food toujours près de soi. Il était sûr que c'était le genre de nom qui plairait aux chinois, eux qui bouffaient de temps à autres les canidés. Le vétérinaire ne releva pas sa remarque, enchaînant plutôt sur leur présence ici à savoir ce qui était arrivé à cette pauvre petite bête. Cette fois-ci, Aelya ne pris pas la peine de demander l'avis d'Isaac, peut-être s'était-elle rendue compte qu'il était un gamin irrécupérable. Sans doute vu le regard dédaigneux qu'elle lui adressait. Il s'en foutait royalement. À la place, il regarda le spécialiste examiner le chiot, lui faisant faire quelques mouvements, alors que l'animal levait sa patte gauche avant à chaque fois. Pas la peine de faire de grandes études pour constater que c'était bien là où il avait mal. Mais le vétérinaire continuait son auscultation, jusqu'à ce que la bête couina lorsqu'il lui toucha sa patte blessée. Bon, Isaac n'était pas un expert animalier, mais là, c'était tout de même la preuve formelle qu'il s'agissait bien de l'origine du mal. Monsieur le vétérinaire les laissa pour inscrire des notes sur son carnet pendant qu'Aelya caressait l'animal en le réconfortant, ne laissant guère de choix à Isaac que de rester près de la table d'auscultation sans rien faire.

Finalement, le vétérinaire, en revenant vers eux, leur annonça que le chiot avait bien une patte cassée, comme l'avait pensé dès le départ Isaac. Cependant, il ne s'attendait pas à la suite de ces propos. Une opération, puis une réanimation, il plaisantait pas. Pauvre chiot, ils allaient devoir le laisser aux mains de ces experts qu'ils le garderaient encore quelques jours en surveillance, histoire de voir si il se remettait bien de toutes ces interventions. Isaac se sentait mal, presque malheureux de laisser l'animal ici, même si il n'avait guère le choix. « Bien. », dit-il simplement, sans savoir quoi dire de plus, avant de noter ses coordonnées sur la feuille que le vétérinaire lui tendait, avant de la tendre à son tour à Aelya pour qu'elle fasse de même. « Au revoir Burger. Sois fort. T'auras des royales croquettes en récompense. ». Isaac s'était penché vers le chiot pour lui dire ces quelques mots, accompagné de quelques caresses, alors que l'animal sentait que quelque chose se passait et s'était mis à couiner, comprenant sans doute que ces maîtres de substitution d'un jour partaient sans lui. Il laissa la jeune femme dire au revoir au chiot alors qu'il remerciait le vétérinaire et sortait de la pièce, sans demander son reste. Tout cela l'avait un peu retourné, barbouillé et il n'aimait pas du tout cette sensation. « J'espère qu'il va vite revenir en forme. », dit-il à Aelya, qui sortait à son tour du bureau, et semblait tout aussi perturbée par l'événement. Du moins, elle le montrait davantage que lui. « Bon... Tu veux que je te ramène quelque part ? Ou alors on commence notre recherche maintenant ? À moins que t'aies envie de manger un truc ? », demanda-t-il spontanément en lui ouvrant la porte de l'immeuble pour qu'elle puisse sortir. À vrai dire, même si elle l'agaçait profondément et que c'était sans doute réciproque, ce n'était pas pour autant qu'il n'appréciait pas sa compagnie. Ils étaient dans le même bateau de toute manière.

 

« Journée d'infortune, heureuse rencontre ? »

Isaac avait sans doute parlé trop vite. Du moins, c'était ce qu'il se disait en voyant le grand sourire malin qu'Aelya lui adressait alors qu'elle s'avançait vers lui. Dans quelle merde s'était-il fourré encore en lui proposant d'aller manger ? Le sort du chiot l'avait tellement affecté qu'il avait fini par être aimable avec elle. Avec elle, cette petite chieuse qui lui avait tenu tête et qu'il ne connaissait pas encore quelques vingtaine de minutes auparavant. Le monde ne tournait plus rond. Le soleil lui avait tapé sur la tête, c'était la seule explication plausible. Évidemment, elle en profitait, ne lui laissant pas d'autres choix que de l'inviter au restaurant. Hors de question, comme si il allait payer pour elle. Elle était folle. C'était chacun sa part, et pas autrement. Elle n'était pas sa copine, encore moins son amie. Il n'était pas radin, mais il n'était pas de ceux qui pensaient qu'il fallait absolument être galant en offrant le restaurant aux jeunes femmes. Après tout, elles s'étaient battues pour avoir les mêmes droits que les hommes, pour avoir une mixité sociale au travail et tout ce qui s'en suivait, alors fallait savoir. Toutes ces féministes de la première heure qui se voulaient égales aux hommes tout en gardant la galanterie de ces messieurs. À un moment fallait choisir, elles ne pouvaient pas tout avoir. De toute façon, elle n'avait pas précisé où elle voulait manger. Grossière erreur de sa part. Il avait encore une chance de ne pas se ruiner, et il allait la tenter. Elle avait bien parlé de burger, non ? « Hum. D'accord. Il y a un fast-food pas loin. », dit-il avec un grand sourire, dévoilant ses dents blanches bien alignées, tout en avançant vers sa voiture garée quelques mètres plus loin.

Aelya ne semblait pas franchement ravie. Et pour cause, à l'annonce du mot fast-food, elle plissa le nez comme si cela la dégoûtait ce qui fit rire Isaac. À moins qu'elle n'en était pas vraiment fana, c'était possible aussi. Même si sur le continent nord-américain, ce genre de spécimen se faisait rare. À croire qu'elle n'était pas comme les autres. Aujourd'hui, les gens connaissaient davantage l'hymne du McDonald's plutôt que l'hymne canadien. C'était quoi déjà ? Ô Canada ! Our home and native land ! True patriot love in all thy sons command. Et ainsi de suite. Tiens, faudrait qu'il demande à un de ces Québécois de la chanter, ça risquerait bien d'être à mourir de rire. Surtout avec leur accent assez particulier, heureusement que les Français ne parlaient pas ainsi. Mais, pour l'instant, il y avait l'affaire Aelya à régler. Il s'était retourné vers elle, en voyant qu'elle le suivait en traînant des pieds. « Quoi ? T'aimes pas le fast-food ? Mais dans quel monde vis-tu ? T'es canadienne au moins ? Non ?! ». Une Américaine, pas que c'était un problème, mais il comprenait encore moins du coup. C'était pourtant eux qui avait inventé le principe du fast-food, les Dieux dans ce domaine même. Par conséquent, trouver une Américaine qui n'aimait pas cela, le fast-food, la nourriture suprême des États-Unis, était assez étonnant. Peut-être pas tant que ça en y réfléchissant après coup. Encore une qui se privait pour ne pas grossir, qui comptait les calories, se restreignait pour avoir un corps de rêve. Et elle y réussissait parce qu'il y avait pas à dire, Aelya était vraiment bien foutue. Enfin, ce n'était pas quelque chose qu'il lui dirait.

Une idée lui venait soudainement en tête, puisqu'elle était américaine, elle ne devait pas connaître les spécialités de son pays, du moins une spécialité d'un coin du Canada où les envahisseurs français étaient bien plus présents que les anglophones. Mais, on leur pardonnait aisément leur présence par leurs spécialités culinaires grassement bonnes. « C'est la première fois que tu viens au Canada ? Je vais t'emmener dans un restaurant dans le quartier français, ils servent de la poutine. Un régal. Tu connais la poutine au moins ? C'est québécois, c'est un mélange de frites et de cheddar avec de la sauce barbecue dessus. Tu verras, tu vas adorer. Au pire, je mangerai ta part. De toute façon, vu que c'est moi qui paye, j'aurai bien le droit. », dit-il en s’extasiant, riant un peu mais surtout salivant d'avance à l'idée de manger ce plat typiquement québécois. La dernière fois qu'il en avait mangé datait de quand il était à Paris deux ans auparavant et encore, cela n'avait rien avoir avec le plat qui était servi dans le restaurant où il avait l'habitude d'aller lorsqu'il vivait encore ici. C'était sans doute la première fois qu'il parlait autant en sa présence, qu'il se laissait aller sans lui envoyer un pique au passage et d'un coup, toute animosité avait disparu. Isaac semblait sans être rendu compte en ouvrant la portière de sa voiture. « Allez, dépêche, monte dans la voiture. On a pas la journée. ». Sa voix avait repris un air faussement irrité alors qu'il lui faisait un signe de tête du genre affrontement. Voilà, c'était mieux ainsi. Se retenant de rire, il entra dans le véhicule, prêt à l'emmener et à lui payer son dû.