Les hommes comprendront ce que c'est de souffrir quand ils s'épileront les couilles à la cire.

« Lâche-moi, abruti. Lâche cette bière et cette fausse vie. Regarde toi, regarde l'alcool et l'ennui qui hantent tes jours et tes nuits. Mon dieu, que c'est pathétique, bordel que c'est laid. Laisse moi rire de tes yeux vitreux et de ton triple menton qui puent l'humanité et la vanité. Toi t'es un homme, un vrai de vrai, un putain d'humain roulé dans sa merde, qui se complaît dans l'immondice de son existence. Tu pensais faire quoi, là ? Me mettre la main au cul, et après ? Tu touches une jeunette qui a peut-être bien vécu autant de nuits d'ivresse que toi, une pétasse qui s'est fait sauté par toute la ville. Je les connais les gros nuls dans ton genre, les pauvres connards aux espoirs brisés. Allez, deviens pas tout rouge, ne meurs pas de honte. De toute façon, t'es beaucoup trop bourré pour répondre. Ah, tu veux me frapper ? Tu veux vraiment te venger et perdre le peu de dignité qui pourrait te rester ? Allez, rentre chez ta mère. Allez, allez, va voir tes gosses et pleure devant eux, crie leur de pardonner la nullité permanente d'un père absent et alcoolique qui arrive plus à regarder sa femme dans les yeux depuis qu'elle a dépassé la date de fraîcheur, depuis qu'elle te rappelle ta mère et ton enfance gâchée. Va-t-en d'ici avant que je sorte l'arme de sous le comptoir et que je te fasse exploser la tête, là, maintenant, tout de suite. La seule chose que je pourrai regretter dans cette histoire c'est de pas l'avoir fait plus tôt. »

Je déteste mon boulot dans ces soirées-là. J'me sens toujours comme une espèce d'automate seul, blanc et sale, souillé par les tâches que je suis obligés de servir, les poltrons qui se réfugient dans leur fausse dépression et leur solitude. J'essaie de plus les voir, de cacher leurs gueules avec un filet blanc, un masque qui dissimule la perversité de leurs traits. Ca craint. Ca craint, ça craint. Et je continue, incapable de me barrer, suffoquant et me traînant  dans cette saleté. Les premières soirées étaient les pires, lorsque, petite pimbêche sentimentale, je pensais que servir dans un bar m'donnerait un certain prestige, comme dans ses vieux films américains où la serveuse est tellement plus canon, tellement plus intéressante qu'on s'demande bien ce qu'elle fout là à servir des bières toute la journée. J'me rendais pas compte que moi, justement, j'avais tout à fait ma place et que ma face d'hémophile collait tout à fait au décor glauque et sale.

L'obésité finit par se barrer, maugréant contre le patron qui ne l'écoute pas. Son air foncièrement inintéressé se justifie par le fait qu'il reviendra demain soir, à la même heure et à la même table. Ils reviennent tout le temps. Il me lance un clin d’œil amical qui me fait sourire, un peu, et continue de lire son journal, comme toujours. C'est bien le seul type qui m'a jamais aidé et même si c'est un abruti fini, un pauvre con qui marche au fric et un aimable arnaqueur, je l'aime bien. Sans lui, j'aurai pas pu travailler à seize ans, gagner ma vie et nourrir Jude, acheter les jouets, construire l'univers que je lui ai créé. Même s'il a du économiser une tune folle à engager une mineur, il s'offusque pas de mon impopularité auprès des clients et de mon incapacité à rentrer dans leur jeu. Au moins, avec moi, il n'y jamais de problème de cul.

J'l'ai pas vu tout de suite, lui et sa jolie gueule, son air un peu dur, un peu froid et sa dégaine du mec qui faut pas faire chier. J'sais pas franchement ce qu'il foutait là, dans ce trou à rat et penser que c'était pour moi m'arracha un sourire. Voyez-vous ça. Ca fait un moment qu'on s'était pas vu. Depuis qu'on avait baisé comme des bêtes, en fait, dans ce placard pathétique, ces quatre mètres carrés orgasmiques. Ca faisait un moment que son aura m'avait pas sauté à la gorge, qu'elle ne s'était pas serré à la vue de ses traits. Il dénotait franchement de la moyenne d'âge et du niveau social de la salle ; grand, beau et bien habillé, il avait presque rien à foutre là. Posant la carte du bar sur la table, j'haussai un sourcil, un demi-sourire sur les lèvres. « On s'est perdu en ville, jeune homme ? Les mecs dans ton genre traînent pas leur fesses ici, généralement. »  

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Les hommes comprendront ce que c'est de souffrir quand ils s'épileront les couilles à la cire.

Je ne savais pas vraiment s'il avait dit ça par simple politesse ou par sympathie ; mais il était clair que sa vision de la fille qu'il avait sauté un beau jour de fin d'été était erronée. J'étais au bar ce qu'était un tableau dans un musée ; un simple détail. Il n'y avait pas à chercher plus loin que mes ongles cassés, mes cheveux rêches et le rouge de mes lèvres. « Je ne suis pas franchement le genre de fille que tu dois fréquenter non plus, j'imagine. » Si j'avais l'air fatigué, alors lui semblait s'être fait écrasé par trois camions. Il avait cet air triste que les hommes ont, quand ils ont un problèmes de femmes, d'amour ou de stérilité, les trois étant liés incontestablement. On s'était quitté le sourire au lèvres mais sans plus de détails sur nos vies respectives ; nos noms, un peu de notre parfum sur l'autre et des souvenirs plaisants. Pas de détails familiaux, professionnels, relationels quelconques. De simples inconnus qui s'étaient trouvés sur la route du sexe et de l'oubli, le temps de quelques minutes, juste d'un moment. Sa remarque me fit rire. « Je pense pas que tu saches vraiment ce que je vaux, à part au niveau du cul ». Son sourire me refit penser à cet instant-là, quant il avait soulevé ma robe, quand nos corps s'étaient réunis en une symbiose foutrement parfaite. Je ne l'avais pas vu depuis un moment ; par manque de temps, d'énergie et de patience. Je me contentais de récupérer le gamin, d'écouter son rire enfantin et de quitter le parking pour le déposer à la maison et aller bosser. Ca faisait des semaines que ma vie se résumaient à ça ; des jours que je répétais inlassablement le même train-train quotidien épuisant et lassant. Une putain de routine s'était installée et elle n'était apparemment pas décidé de bouger ses pattes putrides, ses griffes acérées sur mon existence. Je jetai un regard au patron, plongé dans sa lecture et je crachai finalement sur le fait que je devais travailler ; de toute façon, j'en étais à plus d'heures supplémentaires que n'importe laquelle de ces serveuses ici. « Super. Le petit va bien, sa maîtresse et son joli petit univers aussi. » C'était bizarre de parler comme ça. Normalement, hors du contexte que nous étions créé, ce petit univers vilement entouré de pêchés et de désirs refoulés. Je n'avais jamais pensé pourvoir le retrouvé là, autre part que dans cette minuscule garderie. Loin des yeux reptiliens de la secrétaire qui m'avait regardé partir, seule de l'école que nous avions plus ou moins souillée, précisément là où elle devait enseigner. Elle ne m'en parla pas, n'osant probablement pas braver mon regard de mère libérée, de petite pétasse au culot sur développée. La dernière fois qu'un homme de ma connaissance avait ramené ses miches dans mon bar, j'avais fini en larmes, trop choqué pour pouvoir faire autre chose que pleurer, comme une gamine que l'on aurait aspergé de honte et de dégoût pour l'espèce humaine. La situation serait sans doute différente. « Il est tard, ton regard pue le mec qui a besoin de boire et tu viens te réfugier dans le pire bar de la ville. Je suppose que ta fille ne va pas aussi bien que Jude ? » C'était d'une évidence outrageante et je lui souris, simplement. Pour une fois, ça suffirait.

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J'n'aimai pas franchement la manière dont il fit remarquer que je ne connaissais absolument rien de sa petite personne, de sa vie sentimentale et familiale parce que c'était tout simplement vrai. Ces mystères qui me laissait fantasmer sur sa vie, son job, son passé ; son sourire qui laissait deviner d'autres femmes, d'autres blessures et d'autres nuits, ça a toujours fait parti de notre jeu un peu sale, de cet échange bestial. C'était déroutant de le retrouver là, les yeux en croix, à m’étaler son cœur sur la table et à me servir ce pauvre sourire qui me laissa une boule dans la gorge. Il s'retrouvait donc seul. Seul avec lui-même et le fantôme de sa femme -parce qu'il en avait donc une- et les souvenirs d'une vie de famille envolée. D'un visage disparu qu'on a aimé. De la rage et de l’amertume de ne plus pouvoir rien faire qu'attendre un signe de vie pour, finalement, abandonner pour ne pas trop se laisser aller à la souffrance. Le visage de Paul me sauta à la gorge et je me mordis les lèvres. Au moins, il me restait Jude. Quand j'ai hurlé son absence, quand je l'ai insulté jusqu'à en chialer, j'avais toujours mon fils pour me rappeler de respirer.
C'est dans ces moments-là qu'il ne faut rien dire, j'suppose. Dans ceux qu'on connaît par cœur, reflétés dans les yeux de notre ami, de notre amant, d'un inconnu. Être désolée ne réduirait pas sa peine, discuter calmement non plus, surtout lorsque l'on n'a jamais su raisonner personne. Alors, sans mot dire, j'allai lui préparer son whisky, pour le poser sur la table en s'asseyant en face de lui. De toute façon, Betty prendrait bientôt le relais. « Et alors quoi ? Tu vas te bourrer la gueule et tu vas obliger une fille en fleur dans mon genre de te ramener sur le dos ? » J'esquissai une grimace ironique, sachant aussi bien que lui que la comparaison ne collait pas et rajoutai, haussant un sourcil : « J'avais imaginé mieux comme retrouvailles. Et puis, j'suis plus sûre qu'un homme marié et désespéré soit aussi excitant. » C'était dit sans méchanceté mais avec cette petite pointe de défi qui caractérisait mes dents qui mordaient mes lèvres. Je laissai traîner une main dans mes cheveux et haussa un sourcil, faussement méprisante. Nous avions autant besoin l'un que l'autre d'une soirée d'oubli ; il avait aussi besoin de moi que j'avais besoin de lui.

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Il y avait cette lueur dans son regard, cet rictus perdu au coin de ses lèvres qui m'indiquait que ce soir plus que tous les autres, il n'avait rien à perdre. Ce qui expliquait foutrement bien pourquoi sa petite gueule de beau gosse au cœur brisé s'était réfugié dans un des tréfonds de la ville, dans un de ses travers qui n'avait jamais autant pué l'humain et l'alcool. Je ne savais pas si c'était excitant ou navrant, romantique ou pathétique de se retrouver là, dans mon rôle d'employée, autour d'un whisky que je ne pouvais même pas goûter, me plonger dans ses yeux qui brûlait ma peau et réchauffait mon ventre. Dans ce regard qui me faisait oublier jusqu'au peu de bienséance de ma situation et qui m'incitait au pire sur la planche de placo fragile qui servait de bar, devant les yeux poussiéreuses de mes vieilles amantes et dans le soupir des chaises abîmées. « Je suis une fille sage et sensible, mec. Pas le genre à me taper des inconnus dans ton genre sur un coup de sang. » L'ironie me fit sourire et j'entendis le son de la clochette résonner dans ma gorge. Il n'y avait plus que moi, Harrison et le patron qui récupérait déjà la caisse dans sa vieille valise usé. Quelle heure était-il, hein ? Est-ce que Jude dormait ? Est-ce que la ville s'étirait dans son le brouillard, est-ce que nous n'étions plus que deux, finalement, autour de cette table minuscule ? « T'es bien le premier à t'en plaindre. » Encore faux, bien sûr. Il devait bien être le premier à supporter une de mes conversations, à se retenir de m'insulter en me crachant son mépris. La nuit s'étirait et mon service était finie depuis bien une heure ; j'entendais à peine le cliquetis des pièces contre le comptoir puis finalement, celui des clefs. Puis, il s'en alla, simplement, me laissant le devoir de fermer la boutique. « Waw. Quelle honneur. T'as encore soif ? » Je ne lui laissai pas le temps de répondre puisque, dans un coup de converses, je saisis deux orphelines qui traînaient là ainsi que cinq ce ces verres minuscules qui attendaient patiemment leur tour.« Ma vie sentimentale est aussi morne que ta vie familiale. Sans vouloir être désobligeante. » Je revins m'asseoir et, Ddun mouvement vif je les alignai puis les remplis. Mes yeux vinrent finalement se planter dans les siens et je demandai, avec la délicatesse d'un enfant terrible :« Tu joues, dis ? »

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